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Les Romains et la musique

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Une histoire de la musique : Lucien Rebate

Texte

On sait que de nos jours il n’est plus guère de thèse paradoxale qui ne trouve ses défenseurs, lesquels accèdent assez souvent par ce moyen à la notoriété.

Quelques musiciens ont entrepris ainsi la réhabilitation musicale de Rome. Cela nous a valu différents monuments d’érudition, surtout allemande, riches en présomptions et en conjectures ingénieuses dérivées des moindres traces, mais fort indigentes, et pour cause, quant à leurs références documentaires.

Dans l’attente très incertaine de sources plus précises, on s’en tiendra aux notions habituelles, traitées de lieux communs par nos érudits, mais qui demeurent les seules plausibles.

Comme tous les peuples, ceux de l’Italie antique ont eu  leurs chants folkloriques ou religieux, mais aux formes très frustes, à en juger par les quelques descriptions que nous possédons.

Une fois la Grèce occupée par les légions, presque toute la musique qui se fit à Rome procéda de l’engouement pour les mœurs et l’art des vaincus. Mais cette hellénisation fut loin d’avoir les mêmes effets que dans les lettres latines. Au contraire des Grecs, les poètes, les intellectuels romains ne savaient pas la musique, d’où la place infime qu’elle occupe dans leurs écrits, celle d’un divertissement accessoire, d’un accompagnement aux fêtes privées ou aux cérémonies et réjouissances populaires.

Importée de Grèce, la tragédie n’était guère qu’une adaptation ou un pastiche des modèles athéniens eux-mêmes sclérosés. Elle comportait, au moins jusqu’à la période impériale, une partie chantée, les cantica, mais qui semble bien avoir été traitée comme un hors-d’œuvre assez négligeable. Les dramaturges latins ignoraient tout de la composition, leur prosodie ne se réglait plus sur un rythme musical. Comme chez les Grecs, le seul instrument admis au théâtre était la flûte (tibia), qui servait surtout à manquer la mesure pour les chanteurs.

Une élite de citoyens communiait à Athènes dans les représentations de la tragédie et dans les souvenirs des cultes qui s’y rattachaient. La tragédie latine s’adressait à un public « de masse », qui se plaisait beaucoup plus aux attractions visuelles qu’au poétique. La mise en scène y devint de plus en plus envahissante, avec cavalerie, éléphants, athlètes, défilé militaires, filles ondulantes, qui en faisaient l’équivalent des superproductions « antiques » d’Hollywood et de cinecitta. Les lettrés romains, nourris de grec classique, en parlaient avec la même ironie qu’aujourd’hui les fervents de Shakespeare de la Cléopâtre tournée en cinémascope pour Mme Liz Taylor.

Sous l’empire. les singularités musicales les fanfares de cent trompettes. les chorales de deux mille chanteurs relevaient plutôt du cirque où elles se déroulaient. Si les Grecs avaient toujours été discrets, laissant aux Orientaux les percussions et les cuivres, les Romains aimaient le bruit, ils avaient amplifié le volume sonore de tous les instruments, y compris la flûte.

Mais dans le moment où les foules applaudissaient ce vacarme, des dilettantes romains découvraient les charmes de la mélodie grecque accompagnée. Des chanteurs, des citharistes, des flûtistes célèbres, amenés à grands frais des cités helléniques, apportaient dans les palais le répertoire des chansons d’amour éoliennes. On adopta ce lyrisme intime aux odes d’Horace, aux vers d’Ovide et de Catulle, et il est vraisemblable que la musique latine atteignit frapper même ce genre réservé, qui se dégrada en virtuosité mécanique, en cabotinage.

Le principal mérite de Rome avait été de maintenir plus ou moins l’héritage grec. Mais les vestiges de celui-ci allaient être dispersés ou engloutis dans la décomposition du Bas-Empire, supplantés par un monde nouveau. Quand le Wisigoth Alaric fit son entrée dans Rome en 410, la musique était devenue chrétienne dans l’Empire d’Occident comme dans l’Empire d’Orient, et son histoire allait se confondre pendant des siècles avec celle de l’Église.

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