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Marsile Ficin et l’amour platonique / (néo-) platonicien

L’amour platonique est un amour sans relation sexuelle. Mais pourquoi cet amour est-il nommé « platonique » ? Le philosophe grec Platon a-t-il fait une théorie de l’amour sans sexe ? Pas vraiment. En général, on attribue la théorie de l’amour platonique à Marsile Ficin, un philosophe italien de la Renaissance — presque deux mille ans après Platon ! Comme Marsile Ficin fondait sa propre philosophie sur Platon, on dit qu’il est un philosophe « platonicien », et comme il y a des différences entre le platonisme originel de Platon et le nouveau platonisme de Ficin, on qualifie ce dernier de « néo-platonicien ». Donc l’amour platonique n’est pas vraiment une théorie de Platon, mais plutôt une théorie néo-platonicienne.

Il faut distinguer trois platonismes : celui de Platon lui-même, celui des philosophes néoplatoniciens de la fin de l’Antiquité, et celui des humanistes de la Renaissance italienne. Platon est un philosophe athénien de la fin du Ve siècle et du début du IVe siècle av. J.-C. Plus de cinq cent ans plus tard, la philosophie platonicienne a connu un grand développement à partir du philosophe Plotin, le fondateur su «néoplatonisme » ; ce sourant néoplatonicien a dominé toute la philosophie grecque de la fin de l’Antiquité, du IIIsiècle au VIe siècle après J.-C., de Rome à la Syrie et d’Athènes à Alexandrie en Égypte. Une caractéristique importante du néo-patonisme est son hostilité au christianisme. L’époque du néoplatonisme correspond exactement à celle où le christianisme devient la religion majoritaire autour de la Méditerranée et la région officielle du pouvoir impérial. Les néoplatoniciens sont païens, c’est-à-dire qu’ils restent fidèles à l’ancienne religion grecque polythéiste et plus généralement à la culture antique, à l’intérieur de laquelle il considèrent la philosophie et la religion comme inséparables : la philosophie néoplatonicienne est une sorte de théologie rationnelle du paganisme. Il y a donc une rivalité religieuse entre la nouvelle religion chrétienne et l’ancienne culture grecque païenne, qui est en train de disparaître. Les néoplatoniciens, qui représentent cette ancienne culture, sont donc très hostiles au christianisme, qu’ils considèrent comme une religion complètement absurde et qu’il essaient de combattre par les méthodes rationnelles de la philosophie grecque. A l’opposé de ce militantisme anti-chrétien du néoplatonisme grec de la fin de l’Antiquité, le troisième platonisme, qui se développe surtout à Florence dans la second moitié de XVsiècle est chrétien : ce que cherchent ces philosophes, notamment Marsile Ficin, c’est la synthèse paradoxale entre le christianisme et le néoplatonisme grec anti-chrétien.

Dans tous ces platonismes, l’amour joue un rôle très important en tant qu’élément permettant à l’homme de monter du monde sensible vers les Idées. Dans la philosophie de Platon, les choses sensibles, c’est-à-dire ce que nous percevons autour de nous avec nos sens, sont considérées comme des images des Idées : par exemple, les hommes individuels qui sont tous différents les uns des autres sont des images d’un seul Homme général ; bien sûr, cet Homme universel n’est pas sensible, il n’a pas des bras et des jambes comme nous ; il faut plutôt le concevoir comme une Humanité abstraite que nous partageons tous et qui fait que, malgré nos différences, nous avons tous le point commun d’être des hommes. Platon appelle ce genre de choses abstraites « Idées » ou bien « réalités intelligibles », ce qui signifie qu’on ne peut les saisir que par notre esprit. Or, pour Platon, ces réalités saisies par l’esprit sont ce qu’il y a de plus réel : nous, hommes individuels, ne sommes que des images illusoires et provisoires, comme des reflets dans un miroir, de l’Homme véritable qui existe de manière éternelle au niveau des Idées. De même pour la beauté : les belles choses multiples et périssables que nous percevons autour de nous ont un point commun, qui est la Beauté universelle et éternelle, c’est-à-dire l’Idée de la Beauté, dont elles ne sont que des reflets. L’amour, qui est provoqué par les belles choses, permet de s’élever des beautés sensibles, que nous percevons autour de nous par nos sens, à des beautés de plus abstraites, jusqu’à atteindre la Beauté elle-même. De cette manière, l’amour, qui au départ n’est qu’un désir physique de posséder un corps, se transforme petit à petit en moyen de saisir la vrai réalité intelligible de la Beauté, donc en connaissance de la vérité. C’est ce qui donne à l’amour une très grande importance pour la philosophie, puisque cell-ci n’est pas autre chose que la recherche de la vérité.

Dans le néoplatonisme, l’amour reste une force d’ascension vers l’intelligible, mais dans un système plus complexe. Les néoplatoniciens ont développé un système hiérarchique où tout ce qui existe se répartit en trois niveaux : en bas la Nature, c’est-à-dire les corps ; au dessus, l’Âme ; encore au dessus, l’Intellect. La différence entre âmes et intellects est que les intellects pensent les Idées, donc possèdent toujours la vérité, alors que les âmes ne peuvent que chercher à s’élever petit à petit vers la vérité, par exemple par la réflexion rationnelle. Rien n’existe en dehors de ces trois niveaux, et pourtant il y a quelque chose au-dessus : l’Un, principe des êtres, et qui par conséquent dépasse l’être. L’Un n’est pas, parce que son rôle est de produire l’être en dehors de soi. Symétriquement, tout en bas du système, il y a la Matière, qui reçoit l’être à l’intérieur de soi mais n’existe pas en elle même. Dans ce système, l’existence descend de l’Un à l’Intellect, puis à l’Âme, puis à la Nature. Mais ce mouvement n’est pas le seul : symétrique à cette descente, ou « procession », il y a un mouvement de remontée, ou « conversion », par lequel chaque être désire retrouver son principe au-dessus de lui. Tout le système du né-platonisme a donc une structure érotique dans laquelle les niveaux d’êtres sont reliés par des mouvements descendants et ascendants. L’amour est un mouvement dynamique qui organise toute la réalité. Chez Marsile Ficin, ce système se retrouve avec quelques modifications : comme l’Église catholique était très intolérante contre toute théorie différente de la sienne, il était dangereux de présenter une philosophie fondée sur des théories païennes, donc Ficin christianise le néoplatonisme en donnant les noms « Dieu » à l’Un et « Ange » à l’Intellect ; bien sûr, si le principe de l’être devient Dieu, il n’est plus possible de dire qu’il n’est pas, car l’existence de Dieu est le fondement de la religion chrétienne, donc Dieu en haut, et symétriquement la Matière en bas, sont intégrés au système de l’être, qui a alors cinq niveaux.

Le commentaire de Ficin au Banquet de Platon permet de voir quel sens nouveau prend l’amour platonicien dans un système chrisqianisé. Le texte (1) résume la structure de ce système et le texte (2) montre comment il s’organise de manière dynamique : Dieu produit le monde, le fait sortir de soi, mais aussi l’attire ver soi pour que chaque chose, revenant à Dieu, puisse devenir parfaite en retrouvant son principe. Si Dieu attire le monde à soi, ‘est qu’il est beau, donc provoque l’amour de Dieu en tout ce qu’il crée. Le texte (3) explique ainsi comment l’amour est le moment intermédiaire entre la création des choses par Dieu et leur retour en Dieu ; mais il y a une telle continuité entre création et retour qu’on peut nommer « amour » non seulement une partie mais aussi la totalité de ce mouvement circulaire qui va de Dieu à Dieu en passant par le monde. Chez Ficin, tout amour est donc fondamentalement amour de Dieu, et le texte (4) précise comment toute beauté aimée à l’un des niveaux inférieurs, Matière, Nature, Âme ou Intellect, n’est en fait que la beauté de Dieu et amour de Dieu lui-même a une conséquence ambiguë, qui apparaît clairement dans le texte (5) : d’un côté, cela signifie qu’aimer une chose n’est jamais réellement aimer cette chose, mais seulement Dieu à travers cette chose, si bien qu’on finit par nier tout autre forme d’amour que l’amour de Dieu (d’où la négation de la sexualité dans l’amour « platonique ») ; mais d’un autre côté, inversement, cela signifie que la beauté de Dieu se reflète dans le monde et que nous avons raison d’aimer les belles choses autour de nous, puisqu’elles sont pleines de la beauté de Dieu. L’influence très grande de la théorie de Marsile Ficin sur l’amour vient de cette ambiguïté, qui lui permettait d’alimenter à la fois la tradition moralisatrice de l’ascétisme chrétien (contre la sexualité) et le renouveau esthétique de la Renaissance (pour une redécouverte des beautés physiques).

Les trois platonismes

Platon (5e  4siècle av. J.-C.)

  • philosophe antiquité
  • dans la démocratie
  • autorité égale
  1. rhétorique
  2. philosophe

Néoplatonisme grec (3e – 6e siècle ap. J.-C.)

  1. opposé à christianisme qui a devenu dominant (4e siècle) cf. Constantine
  2. théologie de paganisme
  • Plotin
  • Porphyre
  • Jamblique
  • Proclus
  • Simplicius

Néoplatonieme florentin (15e siècle)

  1. paradoxale
  2. réconcilié avec christianisme
  • Marsile Ficin
  • Pic de la Mirandole

Système philosophique et théorie de l’amour

(1) Platon

Théorie des Idées

  1. dans le miroir (deux niveaux)
  • Idées : l’Homme : plus réel (compris par l’esprit)
  • monde sensible : des hommes : moins réel

L’amour selon Le Banquet

  • belles choses : amour (désir)
  • beaux corps
  • belles actios
  • belles âmes
  • belles conaissances
  • la Beauté (connaissance)

(2) Néoplatonisme grec

  • non-être : Un
  • 3 hypostases = être : Intellect
  • 3 hypostases = être : Âme
  • 3 hypostases = être : Nature
  • non-être : Matière

(3) Marsile Ficin

5 niveaux d’être

  • Dieu
  • Ange (Intelligence)
  • Âme
  • Nature
  • Matière

Extraits de Marsile Ficin, Commentaire sur le Banquet de Platon

(1) Livre II, chapitre 3

Le centre unique du Tout est Dieu et les quatre cercles autour de lui sont l’Intelligence, l’Âme, la Nature, la Matière.

(2) Livre II, chapitre 1

Ce créateur suprême (= Dieu) premièrement crée toute les choses, deuxièmement les attire vers lui, troisièmement les rend parfaites. De même, toutes les choses d’abord découlent de cette source éternelle en naissant, puis elles refluent vers elle en recherchant leur propre origine, et enfin elles sont rendues parfaites après être revenues à leur principe. Donc nous pouvons appeler ce roi de l’univers « bon, beau et juste », comme il est souvent dit chez Platon : « bon », lorsqu’il crée ; « beau », lorsqu’il attire ; et « juste » lorsqu’il rend parfait. Par conséquent a Beauté, dont la caractéristique est d’attirer, se situe entre la bonté et la justice. Elle découle de la bonté et reflue vers la justice.

 (3) Livre II, chapitre 2

Cette divine beauté crée en tous les êtres l’amour, qui est le désir d’elle. Or si Dieu emporte le monde vers soi et que le monde est emporté vers Dieu, il n’y a qu’une seule attraction continue qui part de Dieu, traverse le monde et finit en Dieu, revenant comme un cercle là d’où elle est partie. Ce cercle unique et identique de Dieu au monde et du monde à Dieu est appelé de trois noms : « beauté » en tant qu’il commence en Dieu et attire, « amour » en tant qu’il traverse le monde et l’emporte vers Dieu, « plaisir » en tant qu’il revient au créateur et unit à lui ce qui a été créé par lui. Donc l’amour part de la beauté et s’achève en plaisir. C’est ce que signifie l’hymne très célèbre de Hiérothée et de Denys l’Aréopagite, dans lequel ces théologiens ont chanté : « L’amour est le cercle du Bien, tournant éternellement du Bien au Bien »

(4) Livre II, chapitre 5

La beauté est une activité ou bien une lumière venant de Dieu et qui pénètre à travers toutes les choses, premièrement dans l’intelligence angélique, deuxièmement dans l’âme du Tout et dans toutes les autres âmes, troisièmement dans la nature, quatrièmement dans la matière des corps. Or de même que l’unique lumière de Dieu éclaire l’Intelligence, l’Âme, la Nature et la Matière. Et comme, en voyant la lumière dans les quatre éléments, on perçoit celle qui rayonne du soleil et on se tourne vers la contemplation de cette lumière supérieure du soleil, de la même manière en contemplant et en aimant la beauté aux quatre niveaux de l’Intelligence, de l’Âme, de la Nature et du Corps, on contemple et on aime la beauté rayonnante de Dieu, et, à travers cette beauté rayonnante, on cotemple et on aime Dieu lui-même.

(5) Livre VI, chapitre 19

C’est seulement Dieu que nous aimerons. Quand nous aimerons les corps, les âmes et les anges, ce n’est pas eux que nous aimerons, mais Dieu en eux : dans les corps, l’ombre de Dieu ; dans les âmes, la ressemblance de Dieu ; dans les anges, son image. Ainsi, a présent, nous aimerons Dieu en toutes choses pour aimer finalement toutes choses en Dieu. Car en vivant ainsi nous progresserons jusqu’au point où nous verrons à la fois Dieu et toutes choses en lui, et où nous aimerons Dieu lui-même et toutes les choses qui sont en lui.

Note

théorie de l’amour

Théorie des Idées

l’Homme(plus réel)

-> des hommes(moins réel)

Beauté

-> belles choses

beaux corp -> belles actions -> belles âmes -> belles connaissances

l’amour conduit La Beauté

néo-platonisme grec

niveau des idées

Un : non-être

trois niveaux d’être

Nature | Âme(chercher la vérité) | Intellect(posséder la vérité)

Matière : non-être

produit inférieur

Chez Marsil Ficin

5 niveaux d’être

Matière | Nature | Âme | Ange(Intelligence) | Dieu(Un)

Dieu -créer(bon)-> monde attirer(beauté)-> -parfait(juste)->

beauté-amour-plaisir

(4) analogie

  • feu air eau terre
  • Beauté du dieu
  1. négation n’est pas autre amour sauf dieu
  2. toute beauté du dieu

(5) négatif et positif

désir des corps chez Platon, mais moins de désir chez Ficin

sémitique -> monothéisme -> négation désir des corps

 

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